Esprits des Lieux
Promeneur insouciant qui te risque en ces lieux, nul besoin de forcer la porte de ce pays de gravats. Elle a disparu depuis des lustres et des pièces désolées s'ouvrent aux quatre vents. Curieux de mondes abandonnés, le regard
baissé sur tes pas, trop soucieux d'une chute, lève les yeux car ces ruines t'appellent d'une voix silencieuse. Il y a un siècle, la vie est passée par là, éphémère comme un soupir et lourde comme un regret. Elle a habité ces chambres, alcôves et salons aux plafonds crevés, aux meubles dispersés et aux tapisseries en lambeaux. Elle a respiré, ri et pleuré, cherché peut-être le bonheur, nul ne sait. Elle règne toujours sur ce chaos de briques, imprégnant ces vestiges
d'un souffle diffus et apaisé. Le temps ne détruit pas ce qui a été, il l'abstrait et le transfigure. Aux murs, des fantômes anonymes à l'aura bienveillante, esprits indulgents aux émotions contagieuses, veillent et guident. Les Lares n'ont
pas déserté le foyer.
La photographie, plaque sensible au souvenir, a investi ce royaume en déshérence pour questionner un dédale de poutres et de tuyaux, hanté d'absence et de présence. L'artiste épie le temps qui se fige et se condense dans l'intimité
des décombres. Et de ces réminiscences il fabrique une mémoire.
Georges Rinaudo