Le rideau se lève sur un coup de théâtre. Le décor imposant, par endroit cossu, saute aux yeux et envahit l’espace dans une explosion de lignes. Il n’est question que de colonnes oubliées, d’immenses bâtiments échoués comme des épaves, d’absurdes structures métalliques attendant de devenir ruines. Le fer et la pierre, éléments d’une modernité dépassée remontent des âges anciens.
La scène ainsi saturée, l’acteur, généralement principal, est exilé aux marges. Ce petit rien qu’est un homme limite son rôle à une insignifiante déambulation dans le gris des villes. Dans un état second, il suit les improbables parcours de réseaux labyrinthiques dont il a perdu le plan, à la recherche d’une porte de sortie.
A l’instar de la photographie primitive, le passant n’a pas marqué suffisamment le pas pour figurer définitivement sur l’image. Ou peut-être, comme sur les clichés d’Eugène ATGET, a-t-il été volontairement oublié pour privilégier un décor en passe de disparaître ?
De cet homme devenu un figurant, un intermittent, la ville conserve uniquement une représentation figée, sorte de masque de tragédie, dans une parade des statues qui semblent prendre une revanche. La vie est passée par là un jour. Il n’en reste que des scories que surveillent à on ne sait quel effet des sentinelles de pierre.
Ce théâtre urbain est un théâtre d’ombres.
De leurs histoires parallèles, la photographie et la ville entretiennent une vieille complicité. La tendance actuelle penche vers la méfiance et les regards portés aujourd’hui de l’une sur l’autre oscillent entre crainte et indifférence. Marc CELERIER en retient le divorce consommé de l’homme et du milieu urbain, qu’il présente comme l’aboutissement d’un lent mais irrémédiable processus. Aux antipodes de la photographie humaniste, son œil joue la construction contre le constructeur, malmène les horizons jusqu’au vertige, préfère les façades arrogantes et les esplanades étouffantes. Privilège du metteur en scène, il photographie aussi le silence et lorsqu’un bruit échappe, on le devine blême.
Ces tranches de ville fonctionnent comme des métaphores renforçant la dimension tragique du destin de l’homme qui doit, outre le fait d’être mortel, traîner indéfiniment la faillite de ses postérités antérieures. Car Marc CELERIER lit l’avenir dans les lignes de la ville. Plus qu’un spleen, il y a de la douleur dans cette esthétique aux parfums de décadence et le photographe délimite l’espace où se joue la chute.
Georges RINAUDO